J’éprouve une tendresse particulière pour Rainer Maria Rilke et ce livre particulièrement. Nombreuses raisons pour cette tendresse. D’abord celle-ci et non des moindres :
Ah ! Tu avais oublié, hein, frangin ? La date d’édition de mon exemplaire est 1970. Le papier qui couvre le livre est une espèce de papier fleuriste, en piètre état aujourd’hui mais qui a rempli son office. Longtemps, je n’ai pas été soigneuse avec les livres. Avec les objets en général. À l’intérieur, quelques passages soulignés au crayon bien gras, parfois double soulignage enthousiaste.
Efforcez-vous d’aimer vos questions elles-mêmes, chacune comme une pièce qui vous serait fermée, comme un livre écrit dans une langue étrangère.
Sur la solitude qui est une […] par essence grande et lourde à porter […] Pourquoi vouloir échanger le sage ne-pas-comprendre de l’enfant contre lutte et mépris, puisque ne pas comprendre, c’est accepter d’être seul, et que lutte et mépris ce sont des façons de prendre part aux choses mêmes que l’on veut ignorer ?
Il est pourtant clair que nous devons nous tenir au difficile. Tout ce qui vit s’y tient.
Comment ne pas penser à Bobin ? J’aggrave pour résoudre.
Une autre raison pour moi d’aimer ce livre c’est, dans une simplicité et une sincérité absolues, sa vertu de transmission : le passeur qui donne envie de passer. Je ne m’en suis pas privée depuis des années, quand on reçoit, on donne ; certains s’en souviennent. Avec lui, dire et redire que la Nature n’est pas un spectacle, c’est de la vie partagée. Rien n’est petit, rien n’est pauvre.
Rilke éprouvait une fascination pour la musique, fascination contre laquelle il luttait : peur d’une invasion de tout le corps… Il existe un livre de ses échanges épistolaires avec la pianiste Magda Von Hattingberg.
Toi l’étrangère : musique. Surgeon sorti de nous,
cœur espace
[…]
quand l’intérieur nous encercle
tel l’horizon le plus exercé, l’autre
versant de l’air :
pur,
gigantesque,
inhabitable.
Savoir dire merci : à Rainer Maria Rilke, au jeune poète dans sa quête, à mon frère qui me fit ce cadeau infini, à Bepa qui partage aussi cette tendresse, à mon fils qui aimait Rainer Maria Rilke…
À lire aussi : Poèmes Épars – choisis et trad. Philippe JACCOTTET éd. bilingue – Points
Lettres à une musicienne – Libella Maren Sell, 1998