Éviter de dire qu’il y a chef-d’œuvre, ni même œuvre, parce qu’il y manque le projet et la maîtrise. Quoique… ” N’est-ce pas quand se perd en l’artiste l’intention d’art que surgit alors le bel archaïsme convaincant qui fait alors son œuvre ? “*
Mais se laisser saisir par l’élan, par le trait de ces enfants pas comme les autres. Dans le beau livre d’Alain Gillis*, Peinture d’origine, des peintures d’enfants atteints de troubles de la communication – rapports troublés avec le langage, rapports incertains, parfois aucun rapport – nous sont données à voir. Les peintures de Véronique, d’Erwan, de Cécilia. Les éducateurs n’imposent aucune consigne, les enfants peignent quand ils le désirent… Ils assistent au geste pictural sans l’assister. Mais ils sont là.
Thomas – 11 ans
Jean-François – 10 ans
Alors, ne pensons plus trop en termes d’art, de folie, osons apprécier ; il n’est pas question de comparer ces peintures avec celles si puissantes des grands abstraits ; mais essayons d’approcher avec la même sympathie, le même parti pris positif dont nous faisons preuve lorsque nous abordons des œuvres constituées et réputées difficiles ; laissons nous saisir au corps, tendons “nos mains mentales”.
Borodine Dans les steppes de l’Asie centrale
Dire qu’il n’y a pas oeuvre “parce qu’il manque le projet et la maîtrise” ouvre un gouffre sans fond et induit aussitôt la question : alors, comment faut-il nommer ces… “travaux graphiques” ?
Ils ont bien une réalité ! Il s’agit d’une création humaine quand même. Alors ?
Faut-il imaginer que la main qui tenait le crayon était folle, c’est-à-dire par exemple qu’elle n’était pas guidée par une conscience mais par des impulsions désordonnées et alléatoires ? Qui le
sait ? Mais alors tous les dessins se ressembleraient, ce qui n’est pas le cas. Chaque enfant a sa pâte, reconnaissable de celle d’un autre. Alors, Personnalité ? Pourquoi pas.
Tous ces travaux sont abstraits, ou non figuratifs. C’est-à-dire ouverts à toutes sortes de spéculations. Il est quand même étonnant que le travail d’un artiste “reconnu” – conscient de l’être –
soit si proche (je vais me faire des amis) de ces toiles. Je dois avoir fait un sophisme quelque part car mon raisonnement me fait dire que sans doute les artistes contemporains sont aussi
fous…
Je reste ému et sans voix devant la sombre symphonie en noir, jaune et bleu de Jean-François-10 ans. Ce n’est peut-être pas de l’Art mais on ne m’empêchera pas de dire que c’est BEAU puisque ça
m’émeut. Après tout, c’est l’essentiel…
Exactement, Horus, il y a émotion donc il se passe bien quelque chose… et c’est l’essentiel ! Je ne sais vraiment pas c’est important de définir ces créations : je ne connais pas assez la
peinture pour comprendre l’acte créateur et ses arcanes. Peut-être une tension qui lâche, une écluse qui s’ouvre… avec pour les enfants “troublés” une spontaneïté incroyable et pour les
artistes, un projet (je maintiens le mot) même enfoui. Toujours un plaisir de lire tes mots qui cherchent du sens.
“Les mains mentales”, superbe ça, superbe ! je m’en serviraiw dans mon interview’un peintre. Fabuleux !
C’est vrai que j’ai eu un coup de foudre total ( et mental !) pour cette formule : c’est si JUSTE, n’est-ce pas ? Valère Novarina est un grand monsieur qui, si mes souvenirs sont bons, a beaucoup
écrit sur le théâtre, notamment une “Lettre aux acteurs” de toute beauté !